Dimanche 17 décembre 2023. En l’espace de quelques secondes, Albert Lobé a fait un bond en arrière de 40 ans. « Contre Portsall-Kersaint, on sort de la surface de réparation, la balle est pour notre attaquant pivot, qui remet au n° 10, le n° 10 met à l’ailier, et l’ailier remet à l’avant-centre, qui marque. Et tout en une touche de balle ! Là, j’ai cru me revoir à la Jonelière ! »

Il suffit d’une action pour faire revivre ces émotions. L’entraîneur de l’AS Plouvien (R2) est marqué à vie par sa formation au FC Nantes, entre 1984 et 1990. Tant au niveau footballistique qu’humain : « Nos entraîneurs (Jean-Claude Suaudeau et Raynald Denoueix) étaient des philosophes, ils abordaient nos défauts sur le terrain qui pouvaient se retranscrire dans la vie de tous les jours. L’idée, c’était de courir pour l’autre, pour que notre partenaire reçoive le ballon dans les meilleures conditions possibles. On félicitait plus celui qui courait que celui qui brillait. »

Deschamps « le patron »

Même si l’issue n’a pas tourné en sa faveur, puisqu’il n’a pas décroché le sésame du contrat professionnel (*). « J’étais précoce. Après, j’ai un peu stagné. Mais réussir à Nantes, c’était une montagne, relativise le natif de Caen. Ça a été des années exceptionnelles. Il fallait être le meilleur des meilleurs des meilleurs. Il y a moins de regrets quand on voit que ces gars-là ont été champions du monde. »

Didier Deschamps, Marcel Desailly, Xavier Gravelaine, Christian Karembeu, Patrice Loko…. De ceux côtoyés à la Jonelière, l’actuel sélectionneur de l’équipe de France est celui qui l’a le plus marqué. « C’était un patron, dit le frère de Samuel Lobé en insistant sur le « P ». On connaissait l’équipe dans laquelle on allait jouer le week-end quand on était dans son équipe la semaine. Quand il disait les choses, il se trompait rarement. À 15, 16 ans, il s’entraînait avec les pros et leur parlait comme il a toujours parlé dans sa carrière. Lui et Marcel Desailly auraient réussi dans tous les clubs. »

La disparition d’Adonkor et Labejof

À Nantes, Albert Lobé a connu le meilleur, mais aussi le pire. Cinq mois après son arrivée seulement, le club était frappé par un drame : la disparition tragique de Seth Adonkor et Jean-Michel Labejof, morts après un accident de la route, entre Nantes et Saint-Nazaire.

« Ça a été une cassure. ‘‘Labé’’, j’étais souvent avec lui. Le lendemain, on n’a pas fait d’entraînement, on s’est réuni. Silence de cathédrale. On a juste été courir. Seth Adonkor, c’était le demi-frère de Marcel (Desailly). À ce moment, il était avec l’équipe de France cadets au tournoi de Monaco. C’est monsieur Deschamps, son camarade de chambre, qui a dû lui annoncer la nouvelle. Maintenant, quand je conduis et qu’il pleut, je ralentis drôlement. Je pense à eux, c’est compliqué. »

Aujourd’hui, quand il croise Deschamps, il l’apostrophe « Hey la Dèche ! », Marcel Desailly demande régulièrement de ses nouvelles quand il croise des connaissances communes. Albert Lobé, lui, transmet ce qu’il peut des valeurs nantaises de l’époque, à son échelle, auprès du foot amateur breton. Et parfois, des flash-back lui reviennent, comme ce jour de décembre, à Portsall-Kersaint : « Le jeu du football, pour moi, c’est donner pour recevoir. Sur certaines séquences, je prends mon pied. »

(*) Il a joué entre la troisième et la sixième division française, à Châteauroux, La Chapelle-Saint-Luc, Concarneau…